Entre chantier participatif et fête, les pileries de place ou fêtes de l’aire neuve sont des temps forts des campagnes. Elles permettent la création ou la restauration d’un sol en terre battue en intérieur ou en extérieur durant un bal ou un fest-noz. Après avoir traversé les siècles, ces pratiques festives ont progressivement disparu durant les Trente Glorieuses face à l’arrivée du matériel agricole moderne et du confort moderne dans l’habitat.
L’Aire neuve : al leur nevez
Pour le battage, qui se faisait à l’origine au fléau, chaque ferme ou au moins chaque village, dispose d’une vaste aire ou al leur nevez dont la surface doit être suffisamment dure pour permettre la séparation des épis et des graines, les gerbes étant déposées à même le sol. En milieu rural, la communauté se réunit pour créer ou restaurer ces sols en terre battue durant une journée de travail dense et festive.
Dès la fin du XIXe siècle, la pratique de la fête de l’aire neuve s’affaiblit dans certains territoires. Interdite par quelques prêtres qui l’accusent d’être source de désordre, elle décline progressivement face aux nouvelles technologies pour disparaître après la Seconde Guerre mondiale1.
La pilerie de place : fest al leur zi nevez, foulerie, pilerie d’piace
Les sols des maisons rurales pauvres étaient réalisés en terre battue. Une fois la maison édifiée, il s’agissait de rendre le sol plan et solide, et pour cela, un travail de damage était nécessaire. Comme pour de nombreux travaux du bâtiment, il était fréquent de solliciter la communauté environnante -famille, amis, voisins-, pour réaliser des chantiers nécessitant une main d’œuvre nombreuse. De nombreux sols ont été refaits durant la Seconde Guerre mondiale servant de prétexte à se réunir pour danser tandis que les bals étaient interdits.
Répertoires musicaux
La pilerie de place requiert un piétinement régulier et long pour solidifier le sol. La danse est donc un moyen tout indiqué pour produire ce type de travaux. Les dimensions participative et festive, ont contribué à leurs succès en renforçant notamment les liens sociaux dans la communauté.
Il n’y avait pas de répertoires musicaux dédiés, bien qu’en Bretagne, une image d’Épinal autour du plinn, circule. Le plinn, danse piétinée, était effectivement employée dans le cadre de ces fêtes mais restait cantonnée à son territoire : le Trégor. Ainsi, chaque pays breton puisait dans son répertoire traditionnel pour employer une diversité de danses compatibles avec la pilerie. Une vigilance était apportée aux déplacements, il ne s’agissait pas de faire des trous dans le sol ou des mouvements trop brusques. De même, il était nécessaire d’éviter de danser des cercles aux mêmes endroits au risque de créer des bosses.
Un savoir-faire aux multiples facettes
Une multitude de « recettes » sont employées. Les témoignages sont très variés : pilerie avec de la boue jusqu’aux genoux ou sur sol presque sec, avec ou sans mélanges de fibres végétales, avec ou sans fougères pour protéger les pieds…
Certains éléments persistent :
- La préparation du sol : il s’agit de le retourner, parfois de le décaisser dans un premier temps puis de le rendre plan et meuble, prêt à recevoir une nouvelle couche de terre argileuse.
- La sélection et le tamisage d’une « terre de prairie » ou « terre à crapaud ». Cette terre argileuse est mise au jour, la plupart du temps, sous une première couche de terres noires végétales. Comme de nombreux matériaux du bâti ancien, elle est extraite localement. Les mares dans les territoires ruraux sont souvent la conséquence d’une excavation.
La préparation de la terre nécessite ensuite de retirer les grosses pierres. Selon, le type de sols attendus, plus ou moins fin, on tamise la terre également pour retirer des pierres de petites tailles. Dans certains cas, on mélange la terre avec des fibres végétales afin d’armer le sol. Celles-ci permettent également de réguler l’apport hydrique et contribuent ainsi à limiter une rétractation du sol trop rapide lors du séchage et donc d’éviter la fissuration. En effet, hydrater une terre de façon maîtrisée est incontournable pour obtenir un résultat optimal. Un apport d’eau trop élevé provoque un gonflement biochimique de la matière et, selon la composition plus ou moins argileuse, cela peut avoir de fâcheuses conséquences au moment du séchage.
Par ailleurs, l’apport de fibres a l’avantage de limiter l’aspect collant de la terre humide durant la danse. En ce qui concerne les sols non fibrés, des branches entières de fougères pouvaient être utilisées afin de créer un tapis végétal éphémère et étaient donc retirés après la pilerie.
La fête, un rôle de cohésion sociale
Les pileries jouaient un rôle social puissant. Elles soudaient la communauté à la manière d’un rituel du renouveau qui prend tout son sens avec le contexte des battages dans le cas des aires neuves.
Dans plusieurs ouvrages et témoignages, la pilerie de place est considérée comme une démonstration de force pour les jeunes hommes et de bravoure pour les jeunes femmes. On était fier d’exposer les sabots boueux des participants, c’était une façon de dire qu’ils étaient bons à marier.
Les temps et les espaces communs étaient vecteurs d’une communauté soudée face aux travaux des champs et aux chantiers de construction qui constituaient un labeur éprouvant. On retrouve cette dimension d’espace et de temps communs à travers les usages des fours à pains, des moulins et des lavoirs. Ils étaient également vecteurs de la puissante cohésion sociale dans les campagnes.
Les sources historiques
L’association Dastum entreprend un travail de collectage des patrimoines oraux et musicaux depuis 1972. Pour ce faire, elle a produit notamment une grande quantité d’enregistrements de témoignages oraux dans lesquels les pileries de places sont régulièrement évoquées. Ces collections audios sont accessibles gratuitement sur le portail numérique Dastumédia.
Mêler les patrimoines culturels immatériels bretons
Organiser une pilerie de place est une opportunité d’associer les patrimoines culturels immatériels bretons chantés et dansés avec les savoir-faire du bâti ancien. Finalement, ce type d’expérience nous permet de retrouver l’essence même de ces patrimoines qui font partie intégrante des identités bretonnes et de permettre à chacun de s’en emparer s’il le souhaite.