FICHE TECHNIQUE
La pose de terre cuite
Article écrit par Gérard Dupont.
Les carreaux
Les carreaux de terre cuite traditionnels sont irréguliers. Il faut donc les classer par catégories, au moyen d’un gabarit, constitué d’un panneau de bois, sur lequel on aura fixé une réglette d’appui, et tracé une droite « repère » perpendiculaire à la réglette. Il faut déterminer la cote nominale du lot de carreaux : statistiquement, ce sont les plus nombreux. Le but est d’arriver à constituer trois lots : les « petits », les « moyens », et les « grands ». Un quatrième lot sera constitué de ceux qui sont trop « gauches », vrillés, qui présentent de gros écarts dimensionnels ou qui comportent des défauts ou qui sont fêlés ; ils serviront à faire les coupes. La répartition entre les « petits » et les « grands » doit impérativement être équilibrée.
Les carreaux traditionnels ne sont pas absolument carrés ! Néanmoins, le moule restant en principe le même, on peut éventuellement observer une répétition de « forme », et on aura intérêt à les ranger en gardant la forme repérée toujours orientée de la même façon (souvent le sens de filage sur les carreaux contemporains). Le tri se fait donc sur la dimension d’un côté (donc toujours le même si on a repéré une « forme »), il faut par conséquent les classer pour « conserver » le même côté, et ce jusqu’à la pose ! Si l’on veut éviter tout risque, on peut marquer « P », « M », ou « G », toujours au même endroit, à la craie.
Les carreaux traditionnels ne sont (naturellement) pas plans ! Il est donc préférable de les poser sur une chape fraîche en serrant plus ou moins les carreaux pour absorber les écarts de planéité (on parle alors de pose scellée par opposition à l’usage de colle qui est une pose collée).
Le bon écoulement des charges implique que la densité des matériaux aille croissant du bas vers le haut. Un sol en terre battue a une résistance mécanique de 2 kg/cm² ; si on creuse : 3 à 4 kg/cm² ; si on rajoute un hérisson : 6 kg/cm². Une chape de mortier à la chaux hydraulique naturelle aura, au bout de 28 jours, une résistance de 100 kg/cm² ; un carreau de terre cuite une résistance un peu plus élevée.
La chape (ou dalle)
Ici, les deux sont confondues !
Epaisseur minimale : 4 à 5 cm, moyenne 7 cm. Sur sol compacté, c’est important (voir plus loin) ! Attention aux canalisations, électriques notamment, qui peuvent constituer une zone faible. Il faut donc les enterrer. La chape doit avoir une épaisseur la plus constante possible.
Le mortier de la chape doit être maigre : trop dosé en liant, la chape pourrait être plus résistante que le carreau : celui-ci, à la limite, pourrait casser. Le sable est un sable lavé, inerte, qui ne risque pas de gonfler en cas de remontée d’humidité. Il est indispensable de désolidariser l’ensemble terre-cuite des murs par un film de préférence résiliant, mais surtout étanche afin d’éviter que l’humidité des murs ne se communique à la chape et au carrelage.
Liant : chaux aérienne et/ou chaux hydraulique naturelle, exclusivement.
Dosage : de 6 à 8 volumes de sable pour 1 volume de chaux. Si vous avez des contraintes de mise en service rapide, préférez une chaux hydraulique naturelle NHL3.5. Mettre le minimum d’eau : le mortier doit sembler presque sec…
Les dispositions au sol
1 – En décalé
Les carreaux sont irréguliers, il ne faut donc pas chercher à les aligner. Les bords de cette figure sont dits « secondaires », voir plus loin. Le carreau 5 est coupé, et la chute permet le redémarrage de la nouvelle rangée.
2 – Répartition des carreaux
Il faut répartir les irrégularités de façon à consommer tous les carreaux, en ayant la même proportion dans chaque rangée. Il suffit d’alterner les petits carreaux et les gros. Les moyens restent bien sûr au centre.
3 – Aligné
Une pièce (de la maison) pour chaque tri, ou petit et grand alterné et noyer au centre ou vice-versa.
4 – « Tapis » central
Le « tapis » est constitué d’un seul tri.
Répartition des carreaux
Entre deux bords opposés, c’est bien peu probable que l’on « tombe » sur des carreaux entiers… Il est donc indispensable de répartir le « reste » de façon équilibrée sur les 2 bords opposés : 3/4 de carreaux d’un côté, idem de l’autre. Éviter les chutes de taille inférieure à un demi-carreau car elles sont difficiles à réaliser sans scie.
Il s’agit ici des bords opposés dits « principaux » (voir plus loin).
Sur les pas de porte, éviter les languettes métalliques.
Les carreaux devront être saturés d’eau, par immersion (attendre qu’il n’y ait plus de bulles d’air) ; les laisser ensuite « ressuyer » (c’est-à-dire que l’eau en surface soit absorbée).
Le sens, la disposition des rangées se fait en fonction d’éléments importants : l’entrée dans la pièce, un élément visuel important et central tel une cheminée.
Distinction
Ce qui permet de distinguer :
• 2 bords opposés « principaux », ici (figure de droite) entre porte et foyer (en gras),
• le bord du foyer constitue le « référent visuel »,
• 2 bords opposés « secondaires », ici (figure de droite) entre les embrasures des fenêtres.
Flèche verticale en pointillés de la figure de droite : la répartition des carreaux se fait selon cet axe (imaginer que l’on fait bouger « virtuellement » tout le dallage, entre le foyer et la porte).
Se reporter ci-après au paragraphe 2.
1. Protection contre l’humidité
Il est indispensable de protéger la chape et les carreaux de terre cuite de l’humidité :
• du sol, par un hérisson de 20/40 lavé et bien compacté d’une épaisseur d’environ 20 cm,
• des murs, par un film de préférence résiliant, mais surtout étanche afin que l’humidité des murs ne se communique à la chape et au carrelage.
2. Répartition des carreaux
La répartition des carreaux se fait entre les 2 bords principaux.
Aligner des planches au sol, entre les bords opposés « principaux », au milieu. Puis disposer les carreaux triés « M », à joints constants (à l’œil, car c’est encore ainsi que l’on obtient le meilleur résultat !), en partant, ici, du foyer (référence visuelle de la pièce). à partir de ce « constat », décaler virtuellement cette rangée de façon à tomber de façon équilibrée, comme expliqué précédemment.
3. Tirage des cordeaux
Il est nécessaire de tendre deux cordeaux, parfaitement perpendiculaires, juste au-dessus de la future hauteur des carreaux, donc à 99 cm sous le trait horizontal qui « court » tout autour de la pièce, à l’aide de pointes bien stables.
Le premier cordeau va essentiellement servir à positionner le second ; il devra naturellement être parfaitement perpendiculaire au bord principal. Dans notre cas, il s’agit bien sûr du mur où se trouve le foyer.
Le second cordeau va être positionné très précisément au-dessus d’un futur joint (voir la figure précédente), et, bien évidemment, parfaitement perpendiculaire au premier cordeau (ou parallèle au bord principal « référent »). Prendre particulièrement soin des fixations de ce cordeau, qu’il faut pouvoir mettre et enlever sans risque de déréglage. L’usage de règles en aluminium peut partiellement simplifier la tâche !
Rappel sur la méthode pour obtenir un angle droit
• Compas 1 : tracer 2 poins opposés au centre mais parfaitement équidistants.
• Compas 2 : à partir de chaque point repéré précédemment, tracer 2 arcs.
Pour une précision maximale, les « compas » devront avoir un rayon le plus important possible, mais attention à l’éventuelle élasticité de ce rayon…
Oter ensuite les deux cordeaux, ainsi que la rangée de carreaux et les planches.
Autre méthode issue du théorème de Pythagore
Très facile à retenir : 3 – 4 – 5, et le tour est joué !
4. Pose du premier plot de référence
Ce plot se pose dans un coin de la pièce.
Le trait de niveau est tracé en fonction du sol fini par rapport au seuil de la porte. La figure ci-contre permet de déterminer la hauteur du mortier en fonction de ce trait de niveau. C’est donc en fonction du trait que l’on pose les carreaux et non pas l’inverse.
Sur le hérisson, constituer un premier plot de référence, afin de matérialiser, à l’aide de 2 carreaux tout simplement posés l’un sur l’autre, pour le carreau inférieur : le niveau de la chape, et, pour le carreau supérieur : le niveau du sol fini. À partir de celui-ci, à l’aide d’un niveau à bulle, projeter cette hauteur au mur, puis « monter » 1 mètre à la verticale, bien repérer ce point.
Prolonger cette hauteur, en traçant une ligne parfaitement horizontale, tout autour de la pièce, à l’aide par exemple d’un niveau à eau (ou un niveau laser).
Enlever le carreau supérieur, mais laisser, pour l’instant, le carreau inférieur en place sur le plot de mortier.
5. Construction des nus
Les nus sont les bandes d’appui parallèles pour la règle d’étalement du mortier.
La règle d’aluminium sera de 2 mètres de long ou plus, les nus seront donc espacés d’un peu moins, pour un bon appui de la règle.
Construire d’abord le premier nu, à partir du 1er plot de référence, en élaborant un deuxième plot, de la même façon que le premier, et en comblant l’espace entre les deux. Bien s’assurer de la planéité et de l’horizontalité de la bande.
Construire ensuite le plot n°3, en s’assurant qu’il est bien à la même « altitude » que le premier ; puis le n°4, et enfin le deuxième nu.
Bien s’assurer de l’horizontalité, dans tous les sens.
Continuer de même, sur toute la longueur de la pièce. Laisser l’espace inter-nus propre, afin de ne pas créer de zone plus dures, par tassement en marchant sur les chutes de mortier.
Il est possible de renforcer les nus, puisque servant d’appui à la règle lors de l’étalement du mortier, à l’aide de bandes d’acier zingué (celles qui servent à la fixation des antennes de télévision) simplement posées à plat.
6. Première élaboration de la chape – 1
Il s’agit d’une surface appuyée sur le bord principal référent, sur toute la longueur du bord, et d’une largeur de 80 cm au plus, car il faut pouvoir aller poser les carreaux du fond sans prendre appui sur les carreaux fraîchement posés.
Disposer le mortier entre les nus, à la pelle, mais sans excédent.
6. Première élaboration de la chape – 2
Aller « chercher » le mortier au fond, avec l’angle de la règle, puis le ramener à la verticale, pour éviter qu’elle ne s’incurve. Tirer le mortier à la règle, en appuyant le moins possible la règle sur les nus ! Tasser, peu ou beaucoup mais uniformément, le mortier de chape, avant tirage, mais de façon constante, de la même façon que lors de l’élaboration des nus, et ce afin de ne pas créer de zones plus dures.
7. Pose des premiers carreaux – 1
• Remettre le cordeau parallèle au bord principal en place.
• Calculer la longueur « L », pour positionner les règles d’appui de la première rangée de carreaux ; cette distance est bien sûr un nombre entier de la longueur du côté « Moyen » d’un carreau, plus la largeur d’un joint, fixée par exemple à 3 mm.
• Mettre en place les règles aluminium, de façon parfaitement parallèle au cordeau, à la distance « L » calculée ; caler les règles en les chargeant avec quelques carreaux.
• Saupoudrer la surface de la chape avec de la chaux pure, ou mieux avec une barbotine.
• Démarrer la pose des premiers carreaux, en appui sur les règles, en partant d’un des bords secondaires, en choisissant soit les carreaux « P », soit les carreaux « G », peu importe, il suffit de s’en rappeler. Se reporter à la 3ème figure. Le premier carreau est bien sûr entier (!), appuyé à la fois sur la règle et au mur (laisser quand même un bon joint). Sur la figure ci-dessus, le départ a été représenté depuis le bord secondaire droit, à l’aide de carreaux triés « P ».
• Une fois le tiers de la distance faite, utiliser les carreaux « M », jusqu’aux 2/3, et terminer la première rangée avec, dans le cas de cette figure ci-dessus, les carreaux triés « G ».
• Le dernier carreau de la rangée est coupé à la bonne dimension pour s’insérer.
• La chute de cette coupe sert éventuellement au démarrage de la rangée suivante, puisqu’on inverse les « P » avec les « G » à chaque rangée. Cette seconde rangée se fait (bien sûr) en avançant en direction du bord principal.
7. Pose des premiers carreaux – 2
• Vérifier le parallélisme, après avoir aligné 2 ou 3 rangées, par rapport aux règles d’appui.
• L' »atterrissage » sur le référent visuel (le bord du foyer) permet de vérifier que la répartition des carreaux, comme expliqué au §2, est réussie ! Bien entendu, il sera nécessaire de tailler les carreaux. Ce choix du foyer comme référent visuel a pour conséquence que l' »atterrissage » contre le mur (le bord principal) se fera… comme il pourra ; il sera très vraisemblablement nécessaire de tailler les carreaux de la dernière rangée.
• Chaque carreau est mis en place avec un léger coup de maillet dessus. à la fin de la pose de tous les carreaux de cette portion de chape, tapoter au maillet les carreaux dont un coin pourrait dépasser, afin d’obtenir un ensemble bien plan.
• A ce stade du travail, il faut à la fois engager d’une part la continuation de la chape entre les nus existants, sur une largeur de 80 cm, et, d’autre part, jointoyer les carreaux en place, se reporter au § suivant.
7. Pose des premiers carreaux – 3
• La continuation de la chape implique de protéger ce qui vient d’être fait : les règles seront posées, verticalement, au bord de la dernière rangée posée, afin de pouvoir répandre le mortier.
La règle est posée de façon à accueillir un nombre entier de carreaux, plus leur joint.
7. Pose des premiers carreaux – 4
Conserver la stricte alternance « P » – « G » – « P »…
7. Pose des premiers carreaux – 5
• L’avancement des travaux va entraîner le prolongement des nus, en direction de l’autre bord principal. Ceci oblige à « gérer » la sortie, ou le chemin de la brouette de transport du mortier !
1. la chape avance, au maximum,
2. finir, en sens inverse, face au mur, en laissant une bande de passage,
3. refermer ce passage, avec une règle plus petite.
8. Joints
La recherche de la couleur doit avoir été effectuée avant la pose des carreaux. Il faut pour cela constituer plusieurs parterres de carreaux posés sur une chape réelle, elle-même sur un film plastique, à l’extérieur pour mieux apprécier les couleurs.
Le mortier de joint est plus exactement une barbotine, dont la composition est la suivante :
• 1/2 volume d’agrégat tamisé fin (sable + terre minérale),
• 1/2 volume de liant chaux hydraulique naturelle, dont la dureté est proche de celle du carreau.
Les nuances de couleurs sont obtenues en choisissant les terres minérales, en variant aussi leur proportion avec le sable. Si le sable est celui qui a servi pour la chape, son pouvoir colorant sera faible.
Mélanger, pour moitié-moitié, la terre (avec du sable, éventuellement), avec de l’eau ; puis tamiser cette boue, rajouter le liant, et malaxer soigneusement, à l’aide d’un malaxeur monté sur une perceuse.
Si les carreaux ont eu le temps de sécher, les asperger d’eau pour les restaurer.
Verser à seaux la barbotine, en commençant dans un coin, et égaliser à 45° :
Une fois tous les joints bien remplis, laisser « tirer » un peu (« tirage » d’un mortier : absorption de l’eau par le matériau), puis repasser un coup de raclette. Les joints doivent être d’avantage en bosse qu’en creux.
Nettoyage des carreaux : à la sciure de bois sans tanin (ex : du résineux), et au chiffon. Il ne faut pas nettoyer trop tôt, sinon le joint se creuse, et la sciure peut y rester… On peut aussi utiliser des chutes de mousse, qui se chargent de laitance, il faut les jeter après usage.
Si le nettoyage intervient trop tard, il faut nettoyer carreau par carreau, à l’éponge, et avec deux seaux d’eau, l’un qui sert pour nettoyer l’éponge, l’autre servant de réserve d’eau propre…
Pendant toutes ces opérations, il ne faut naturellement pas marcher directement sur le sol, mais sur des panneaux de contre-plaqué, et avec précaution !
Note : la couleur des joints peut soit accentuer, soit minimiser, les éventuels défauts de la pose, ou des carreaux eux-mêmes.
9. Finitions
L’usage de la pièce ne peut être immédiat : un mois de prise constitue un minimum. La chaux hydraulique naturelle est aussi aérienne, il faut compter un délai de 6 mois pour une prise complète. C’est le prix à payer pour un habitat sain, qui « respire ».
Au bout de ce délai, il faut imprégner à cœur (ce qui implique une saturation) les carreaux, avec un mélange tiède d’essence de térébenthine et d’huile de lin ou de cire d’abeille, en 2 ou 3 passes.
Voici ce qui était préconisé par un architecte du service conseil de Tiez Breiz, dans la revue n°5 en 1985, pour courageux ou méticuleux ! :
« Après la pose, laisser pendant deux à trois mois la laitance remonter.
Ensuite, nettoyer plusieurs fois le carrelage au savon noir.
Par la suite, enlever immédiatement toute tâche qui pourrait être faite après le nettoyage au savon noir.
Après avoir fait plusieurs lessivages au savon noir en un mois, appliquer :
– une première couche de petit lait,
– une deuxième couche en mélangeant 1/4 de lait et 3/4 d’eau,
– une troisième couche composée de 1/2 de lait et 1/2 d’eau,
– une quatrième couche de lait cru, pur.
Laisser sécher entre les couches. Il faut compter 3 semaines de séchage entre les couches.
Ensuite, appliquer un mélange térébenthine/huile de lin,
dans la proportion de 1 litre de térébenthine pour un verre d’huile de lin, et, si possible, au pulvérisateur.
Recommencer trois ou quatre fois en augmentant la dose d’huile de lin.
Après séchage complet, entretenir à la cire. »
(mais bonjour les odeurs !…)